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The Cure on Tour : la chronique

"Encore un livre sur The Cure ?" C’est un peu la question qui revient chaque fois qu’un nouvel ouvrage consacré au groupe fait son apparition. Biographies, encyclopédies, témoignages voire romans : la bibliographie curiste commence à être bien fournie. Avec The Cure on Tour, Jérémy Wulc (JW) ajoute une nouvelle pierre à cet édifice, en s’attaquant à ce qui constitue sans doute le cœur battant du groupe : la scène.

In scaena veritas

On a l’habitude de résumer The Cure à sa discographie : albums studio, singles, EPs, compilations. Et c’est vrai que le groupe a donné à entendre depuis ses débuts en 1979 avec Three Imaginary Boys. Pour beaucoup, The Cure, c’est ça : quelques œuvres cultes (Pornography, Disintegration...), une silhouette – Robert Smith, maquillage qui bave et cheveux hirsutes – et quelques classiques entendus de temps à autre à la radio (Just Like Heaven, A Forest, Friday I’m In Love).

Ce que rappelle The Cure on Tour, c’est que cette vision est incomplète, voire trompeuse. JW part d’une idée simple : The Cure se vit aussi (et surtout) sur scène. C’est là que les différents courants émotionnels du groupe – la noirceur de Pornography, la mélancolie orchestrale de Disintegration, l’explosion pop de Kiss Me Kiss Me Kiss Me, les illusions perdues de Songs Of A Lost World, pour n'en citer que quelques uns – coexistent et s’enchaînent.

Là où les albums ressemblent à des instantanés très marqués, la scène offre un fil continu, qui permet de lire la trajectoire du groupe sans être parasité par les ruptures de style. C’est cette pelote que JW déroule, tournée après tournée, année après année, line-up après line-up. Le livre ne raconte donc pas une carrière au sens classique du terme, même si on y retrouve des détails biographiques traditionnels, mais plutôt la vie de The Cure dans les salles et les stades, là où il est sans doute le plus cohérent et le plus puissant. Et le plus vulnérable.

Quelques pages de The Cure on Tour

Le sens du détail

The Cure on Tour se lit comme un long carnet de route, mais écrit avec une jolie rigueur. Dates, villes, formations, contextes, moments de grâce, couacs, tensions internes : tout y passe, sans basculer dans la simple énumération. L’auteur ne se contente pas d’empiler des informations. Il met en scène les ambiances propres à chaque période et montre comment les tournées reflètent l’état psychologique du groupe. Ce faisant, il donne corps aux différents cycles de The Cure qu’on devine en écoutant les disques.

Dans The Cure on Tour, il y a beaucoup de passages marquants, à l’image de l’épopée scénique du groupe. Il serait difficile bien sûr de tous les citer, mais je retiens pêle-mêle le contraste entre l’enfer anxiogène de la tournée Pornography – concerts lourds, climat délétère, noirceur totale et colère froide – et l’atmosphère beaucoup plus apaisée de l’ère Bloodflowers, où la mélancolie devient assumée, presque sereine (après la tentative musicale kaléidoscopée de Wild Mood Swings). On comprend que chaque série de concerts est comme une photographie de Robert Smith et de ses camarades à un instant T. Sur la pellicule apparaissent fatigue, obsessions, doutes et bonheurs (car oui, toutes les tournées de The Cure ne sont pas crépusculaires au sens "après celle-là, on ferme boutique").

On tient entre les mains un livre qui ravira les obsédés de la setlist, capables de débattre trois heures sur la place de Faith en rappel… mais qui toutefois reste accessible pour un·e lecteur·rice moins extrême. À chaque temps fort, JW replace les choses dans un contexte plus large : l’industrie musicale, les changements de line-up (nombreux !), l’évolution de l’image du groupe, la façon dont le public suit… ou ne suit pas.

Livre versus Web ?

The Cure on Tour est un beau livre, au sens propre du terme. Grand format (23,5 cm de large x 2,8 cm d'épaisseur x 30,8 cm de haut), couverture rigide, 256 pages, plus d’un kilo et demi sur la balance : on est sur un objet pensé pour être posé (pesé ? 😉), ouvert, feuilleté, re-feuilleté et pas juste consommé puis oublié.

À l’heure où l’on peut trouver en ligne des bases de données ultra-complètes répertoriant dates, setlists et statistiques, le livre joue une autre carte : celle de l’expérience physique. Le poids, le papier, la mise en page ne sont pas un caprice : la matière rend justice à l’imagerie du groupe et à la richesse des archives. Et c'est aussi pour cette raison que le prix est élevé (45 €). Il n'empêche... cela pourrait s'avérer être un frein à l'achat (heureusement, il y a Noël qui arrive... 🎁).

Petite parenthèse : certain·es ont reproché à ce livre de compiler des éléments déjà connus, à un prix excessif. Toutes les dates de concerts et beaucoup de tickets sont recensés en ligne, les meilleurs exemples étant bien sûr cure-concerts.de et setlist.fm. Et d’autres sites compilent tous les clichés (promos, officiels et amateurs), comme picturesofyou.us (qui semble avoir quelques problèmes techniques à l’heure où j’écris ces lignes, c'est pourquoi je mets le lien vers l'archive en ligne). Mais on notera quand même un gros avantage à The Cure on Tour : si certaines informations sont déjà connues, il les regroupe en un seul et même endroit. Qui plus est dans un livre, c’est-à-dire un objet qu’on peut toucher et manipuler. Et ça, à l’heure du tout dématérialisé, ça tend à devenir un luxe. Sans oublier que la plupart des sites d’archives n’offrent "que" des données brutes. JW propose, a contrario, une lecture, une mise en forme, voire – au risque de faire un peu pompeux – une dramaturgie.

Billets de concert période Pornography Tour

Mais revenons-en à l’iconographie, qui est au cœur de l’ouvrage... The Cure on Tour regorge de photos couvrant toutes les époques, avec une nette prédilection pour Robert Smith (étonnant, non ?). Mais également des scans de billets de concerts, des affiches et posters de tournée (qui restituent les univers graphiques propres à chaque période) et des archives personnelles de l’auteur avec, il est vrai, quelques photos floues (prises peut-être avec un appareil jetable, objet que les plus jeunes n’auront jamais connu). Mais de mon point de vue, cela ne nuit pas à l’ensemble. Au contraire même : ça donne un côté authentique à l’angle « carnet de route » adopté par le livre.

Ces éléments visuels forment ainsi un second niveau de narration, en parallèle du texte. On peut s’y perdre sans même lire une ligne, juste en suivant le vieillissement de Smith, les changements de line-up, la transformation de la mise en scène, les salles qui grossissent, les foules qui se densifient. The Cure on Tour donne envie de ressortir ses propres photos (aaah… ce frisson au moment de passer la sécurité...). Et c’est d’ailleurs ce que j’ai fait : je suis allé à la recherche des seuls clichés en ma possession (flous pour la plupart bien sûr...) du soundcheck du concert de Toulouse en 1996.

À propos de l’auteur

JW n’en est pas à son coup d’essai à propos de The Cure : on lui doit déjà une biographie centrée sur Robert Smith (Le jeune homme de Crawley), mais aussi un livre plus personnel, The Cure – My Dream Comes True, autre carnet de bord de fan suivant le groupe sur plusieurs tournées (et sur lesquels je n’ai pas d’avis, étant donné que je ne les ai pas lus). Plus récemment, il a apporté sa contribution au scénario du docu-BD sobrement titré The Cure (et dont vous pouvez retrouver ma chronique juste ici).

À mon sens, le livre fonctionne bien. Certainement parce qu’il est écrit par quelqu’un qui connaît bien son sujet. Je sais que des fans n’apprécient pas la personne, à tort ou à raison (ne comptez pas sur moi pour entrer dans ce débat, je joue mon joker). Quoi qu’il en soit, l’auteur endosse une double casquette : celle du passionné tout d’abord, capable de comprendre ce que c’est que faire de la route pour enchaîner plusieurs dates (et ça, ça va parler à beaucoup d’entre nous), et ensuite celle du chroniqueur rigoureux qui recoupe et vérifie ses infos.

Comme dit plus haut, il a intégré quelques archives personnelles au récit. Et ça nous rappelle surtout une chose : que la mémoire de The Cure est aussi (surtout ?) une mémoire de fans, de gens qui ont recopié des setlists, conservé leurs billets, alimenté des sites d’archives, rédigé des articles et des chroniques. JW se place à la croisée des chemins, entre cette culture fan et un travail d’auteur, ce qui donne à l’ensemble une légitimité assez naturelle : on a l’impression que le livre est écrit "de l’intérieur", mais sans perdre en clarté.

Une cartographie complète de 1978 à 2023

Je trouve que l’une des grandes forces de The Cure on Tour, c’est son ambition chronologique. Car le livre embrasse l’intégralité du parcours scénique, de 1978 à 2023. Ce qui n’est pas, vous en conviendrez, une mince affaire. On ressort de cette odyssée temporelle avec une conviction : si la carrière de The Cure n’a pas été un long fleuve tranquille, la scène en constitue la véritable colonne vertébrale.

Car on passe quand même (presque) en revue près d’un demi-siècle : des débuts dans les pubs des mornes banlieues anglaises jusqu’à la tournée récente (et sold out) Shows of a Lost World. Entre ces deux périodes, on (re)découvre la montée en puissance et le succès des 80’s, les 90’s déclinantes après le méga carton du Wish Tour, et des années 2000 plus confidentielles (au sens de la popularité mainstream).

Bref, tout ça pour dire que le livre est un vibrant témoignage du fait que The Cure reste un groupe de scène. Et le récent combat de Robert Smith contre les dérives tarifaires de Ticketmaster en dit long sur la façon dont le groupe envisage encore une tournée aujourd’hui : comme un espace de partage avec les fans, mais aussi comme un terrain de lutte contre ceux qui envisagent les concerts comme un simple produit.

 Du négatif ?

Parce que son cheminement est chronologique, The Cure on Tour risque de faire le tri parmi ses lecteurs. Les fans avertis, donc ayant déjà une bonne culture du groupe, pourront s’y repérer facilement, faire des allers-retours et comparer les époques. Au contraire, le lecteur occasionnel, face à des informations assez denses, pourrait se sentir un brin perdu parmi la succession de dates, de lieux et de line-up.

L’auteur aurait également pu envisager des chapitres organisés différemment : par exemple avec des thématiques (un focus sur les concerts inoubliables, sur la place de certains titres emblématiques, des comparaisons avec d’autres groupes de la même génération, etc.). Mais on ne lui en veut pas, car il y aurait de quoi faire un autre livre ! Ici, la promesse semble être : "Vous voulez un panorama scénique complet et illustré de The Cure ? Le voici !". Et elle semble tenue.

On notera quelques petites fautes de typo ici et là (un titre de chanson mal orthographié, une erreur sur un nom) mais c'est insignifiant à l'échelle des 256 pages du livre. Et certains lecteurs trouveront peut-être qu'il manque certaines précisions. Me concernant, j'aurais bien aimé voir citée la conférence de presse de Robert Smith au festival des Vieilles Charrues en 2012 où il est apparu tendu et agacé (quelques semaines après le décès de sa mère, ceci explique cela...). Mais il aurait fallu un ouvrage de l'épaisseur d'un dictionnaire pour évoquer tous ces petits détails...

Au fond, la plus grande critique qu’on puisse formuler à propos de The Cure on Tour, c’est qu’il nous pousse à en vouloir davantage. On veut plus d’analyses, d’anecdotes, de références et de contexte !

En conclusion

Comme souvent avec The Cure, la réponse à la question "Pour qui est ce livre ?" me semble assez simple...

The Cure on Tour s’adresse aux fans, qui y trouveront de quoi compléter leur culture du groupe. Avec également la sensation de voir défiler les concerts auxquels on a assisté… ou qu’on a rêvé de voir !

Mais les autres (amoureux de musique live, curieux, amateurs de beaux ouvrages) pourront également y trouver leur compte, en découvrant notamment ce que peut être la vie et l’évolution scénique d’un groupe aussi culte que The Cure. Et pourquoi pas leur donner envie d’aller plus loin et de prêter une oreille au génie de Robert Smith. Mais une chose semble sûre : dans la galaxie déjà bien fournie des livres consacrés à The Cure, The Cure on Tour semble trouver sa place. Et il pourrait bien devenir une belle référence...

Car ce n’est pas juste un beau livre de plus à poser à côté de vos vinyles. C’est une odyssée bien documentée, racontée avec passion, servie par une iconographie généreuse et une conception à la hauteur. Certain·es pourraient ne pas être séduit·es par la mise en page et les partis pris graphiques. Et ce ne serait pas illogique, car cela fait appel à nos propres goûts en matière d’esthétisme. Mais pour celles et ceux qui suivent The Cure – souvent depuis déjà de longues années – ou qui viennent de les découvrir, l’ouvrage reste un vrai plaisir à parcourir. Et bien sûr, au son d’un vieux bootleg enregistré depuis le public... 📀

THE CURE ON TOUR
45 €
Éditions Glénat
Paru le 29 octobre 2025
De Jérémy Wulc
Disponible en librairie et sur le site de l'éditeur

2 thoughts on “The Cure on Tour : la chronique

  1. Le choix de la photo de couverture d’un livre me semble essentiel, et ici, celle-ci m’évoque deux questions :
    – Pourquoi une photo Studio alors que le sujet est la Scène ?
    – Pourquoi une formation spécifique alors que le sujet est les changements de line-up ?
    Passé ces considérations, j’ai pu feuilleter le livre en magasin, et serais ravi de le trouver au pied du sapin…

    1. Questions très pertinentes !
      Je me suis moi-même demandé « pourquoi cette formation en particulier ? »
      Peut-être que c’est le line-up que l’auteur juge comme le plus représentatif du groupe ?

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