Boys Don’t Cry cartonne sur TikTok

Quarante-six ans après sa sortie discrète, Boys Don't Cry connaît un succès surprise sur TikTok. Au-delà de son riff accrocheur, elle résonne plus que jamais avec les attentes d'une jeune génération qui souhaite dénoncer la pression sociale, tout comme Robert Smith en son temps.
Un flop initial qui aurait dû être un succès
Boys Don’t Cry avait tout pour plaire : un riff de guitare accrocheur, une mélodie habile faisant le lien entre pop des années 60 et le punk des années 70, une durée taillée pour une diffusion en radio... Et pourtant... Lors de sa sortie en single en 1979, ça a été un échec commercial. « Le titre n’est même pas entré dans les classements », se souvient Chris Parry, boss de Fiction. « Ça aurait dû être un succès. Robert était déçu, et il avait raison de l’être. »
La chanson était par ailleurs conçue comme un geste d'indépendance de la part de Robert Smith. Car après la sortie de leur premier album, Three Imaginary Boys, façonné et produit par Chris Parry alors seul aux manettes, Smith avait décidé de reprendre le destin du groupe en main : « J'avais rêvé de faire un album, et soudain, nous étions en train de le faire, et mon apport était ignoré. A partir de ce jour, j'ai décidé que nous conserverions le contrôle total sur notre musique. »
Le combat contre le « stiff upper lip »
La véritable puissance de Boys Don’t Cry réside dans son message, qui remet en question les normes sociétales sur la gestion des émotions masculines. C'est le cri d'indépendance de Robert Smith face à la doctrine du stiff upper lip (qui évoque la capacité d'être ferme tout en conservant une certaine maîtrise de soi), qui imprégnait la culture britannique, et qu'on peut également relier au concept de « masculinité toxique » — où les normes de comportement masculines imposées par la société sont préjudiciables aux hommes eux-mêmes — qui n'existait pas lorsque la chanson a été écrite.
« Quand j'étais petit, il y avait une pression pour se conformer à une certaine manière. Et en tant que jeune Anglais à cette époque, on vous encourageait à ne manifester aucune émotion, quel que soit la situation », a confirmé Smith à Rolling Stone en 2019. « Je n'ai pas pu m'empêcher de montrer mes émotions quand j'étais plus jeune. Je n'ai jamais trouvé que montrer mes émotions était gênant. J'ai pensé : "Ok, cela fait partie de ma nature de m'opposer quand on me dit de ne pas faire quelque chose. »
Le journaliste Paul Tothast, dans la série Soul Music de BBC Radio 4, établit un lien direct entre la chanson et un changement d'attitude : « The Cure est entièrement responsable dans mon esprit du fait que les garçons soient capables de se rapprocher de leurs émotions et de leurs sentiments... La plupart des adolescents dans les années soixante-dix étaient réprimés de bien des façons. »
La réédition et la résonance contemporaine
En 1986, alors que The Cure enchaînait les succès, Fiction a réédité Boys Don’t Cry avec un remix et une nouvelle partie vocale (« New Voice – New Mix ») ainsi qu'un clip. Le titre a bien mieux marché, atteignant la 22e place au Royaume-Uni et réussissant là où il avait échoué quelques années auparavant.
Quarante ans après sa deuxième sortie, le message est toujours fort. Smith l'a compris lorsque The Cure a joué la chanson à Glastonbury en 2019 : « J'ai réalisé qu'elle avait une résonance très contemporaine avec tous les drapeaux arc-en-ciel et tout ce qui se passait dans la foule. »
L'hymne de l'acceptation de soi pour la génération TikTok
Aujourd'hui, Boys Don’t Cry est l'une des chansons les plus streamées sur TikTok, grimpant jusqu'à la 45e position des classements.
Ce succès est le fruit d'une puissante convergence entre d'une part la nostalgie et d'autre part les attentes de la nouvelle génération. L'esthétique new wave et le son distinctif de la chanson ont trouvé une seconde vie en tant que bandes sonores pour les tendances axées sur l'expression de soi et l'anti-conformisme.
Sur la plateforme, les adolescents et les jeunes adultes utilisent le titre de manière ironique ou directe. Le riff de guitare sert de fond sonore aux vidéos traitant de l'anxiété, de la tristesse, de la vulnérabilité ou du rejet des stéréotypes de genre. La phrase Boys Don't Cry, autrefois un ordre social, est souvent reprise comme un slogan moqueur ou un appel à l'acceptation de la sensibilité masculine, s'inscrivant parfaitement dans une tradition d'hymnes pop et rock qui célèbrent le droit à la différence, la tolérance et l'acceptation de soi (on peut citer dans des genres très différents de The Cure Born This Way de Lady Gaga voire Comme ils disent de Charles Aznavour).
La génération TikTok, élevée dans un environnement où le dialogue sur la santé mentale et l'identité est omniprésent, s'approprie ainsi ces classiques comme des validations rétrospectives de ses propres combats. Le succès viral de Boys Don’t Cry prouve que son message — la permission de s'émouvoir et de ne pas se conformer aux attentes rigides — a une pertinence qui dépasse largement les décennies et les genres musicaux. Et ça, ça doit certainement procurer un petit sentiment de fierté à Robert Smith...





